Le visage pitoyable de la presse camerounaise

4, 8, 15, 20, voir 30, c’est le nombre de mois de salaires impayés que la plupart des journalistes exerçant dans les médias à capitaux privés réclament à leur patron. Un secteur d’activité où quand le journaliste croupit dans la misère, le patron s’embourgeoise.

regroupement des journalistes du Sud-Ouest au Cameroun

Depuis janvier 2017, Monique ne fait plus partie des effectifs du quotidien Mutations. Elle a déposé sa lettre de démission, la deuxième suite à la tentative de 2016, après 9 années passées au sein de ce quotidien. « J’y pensais depuis un an. J’avais déposé une première en 2016 parce que je ne croyais plus du tout à la vision du Top management ou l’absence de vision, c’est selon. On m’a fait de nombreuses promesses qui n’ont abouti à rien. La seconde c’est juste le ras-le-bol avec un projet de restructurations qui n’inclut pas l’avenir du personnel », s’indigne Monique. L’avenir du personnel. Oui c’est la clé même, le nœud du problème. Courant décembre 2016-janvier 2017, le quotidien Mutations a connu plusieurs démissions suite aux mauvaises conditions de travail mais surtout à plusieurs mois de salaire impayés. « Je ne sais même plus combien on me doit. Peut-être 15 mois si on cumule tous les arriérés », confie Monique. Une expérience peu reluisante qui lui a donné le dégoût pour l’exercice de cette profession, du moins, l’exercer au Cameroun dans ces conditions « On ne déshabille pas Paul pour habiller Pierre. J’ai en effet eu des propositions dans ce sens, mais je suis en cure de désintoxication », fulmine-t-elle.

regroupement des journalistes exerçant à Douala ce 3 Mai 2017
Comme elle, plusieurs employés des medias à capitaux privés au Cameroun croupissent dans la même galère. « En 2016 j’ai été payée deux fois et demi. Demi parce qu’on a reçu un demi mois de salaire après un mouvement de contestation. J’ai perdu le fil du compte de 2015. Donc pour le moment c’est deux mois de salaire en 2016 », révèle Marthe. « Oui nous avons reçu le salaire du mois de février 2016 mardi 25 avril 2017. On a attend une autre paie d’ici le 16 mai prochain. On réclamait 13 mois de salaires impayés (février 2016-mars 2017) », ajoute un journaliste du quotidien Le Messager.
Les arriérés à Mutations par exemple remontent au mois de mars 2009. Ils ont atteint jusqu’à 9 mois sous la direction de l’ancien DG, Haman Mana à l’époque. Mais lorsque Alain Blaise Batongue prend le contrôle de la gestion, la responsable de la comptabilité quitta l’entreprise en février 2012, les employés ne comptaient plus que 5 mois d’arriérés. Xavier Messe arrive avec la nouvelle gestion, les impayés ne cessent de s’accumuler au point d’être aujourd’hui incomptables. Les arriérés de salaires sont tellement beaucoup qu’il faut une réunion pour les évaluer. En plus, il y a une quarantaine de semaines d’impayés de frais de reportage au Littoral. Le journal après des contestations avec certains employés a revu son top management et plusieurs journalistes ont  démissionné.
Cette situation n’est pas observée seulement dans les quotidien Mutations et Le Messager. Le Jour, Le Quotidien de l’Economie et presque toutes les radios et les chaines de télévisions à capitaux privés  vivent cette situation au Cameroun. « Tous les journalistes de la presse privée au Cameroun sans aucune exception ont des arriérés de salaire. Ça varie d’un média à l’autre et en tant que journaliste syndicaliste on a envie rapidement de dire que les même causes produisant les même effets, on a une situation qui se généralise», explique Denis Nkwebo, Journaliste au quotidien Le Jour et président du Syndicat national des journalistes du Cameroun, SNJC.
Un schéma qui pour lui s’explique par le fait que les patrons de presse ne créent pas des organes de presse avec pour vocation d’être des entreprises, au contraire, « les organes de presse sont créés pour se reproduire par eux même sans fond de roulement, sans compte courant associés. Généralement les directeurs de publication sont actionnaires uniques et même si on peut avoir des actionnaires fictifs qui n’existent pas. Les propriétaires de l’organe de presse ont une ambition personnelle et veulent l’atteindre par le biais de l’organe de presse. »
Des maisons de la presse en Afrique
Les médias à capitaux privés naissent au Cameroun chaque jour comme des champignons. On dénombre par exemple 571 organes de presse écrite, des quotidiens aux mensuels en passant par les hebdomadaires, les bihebdomadaires, les trihebdomadaires et les bimensuels, qui sont répertoriés au Ministère de la Communication. En ce qui concerne les radios, en 2013 le ministère de la Communication a donné des autorisations de fonctionnement à 82 radios parmi lesquelles 36 communautaires au Cameroun. Soit 29 radios émettant au Centre, 17 dans le Littoral, 3 dans le Nord, Extrême-Nord 7,  Adamaoua 4, 7 au Nord-ouest, 7 à l’Ouest, à l’Est 5, 5 radios au Sud-ouest et 8 dans la région du Sud. 17 télévisions disséminées dans le Nord, le Nord-ouest, l’Est, le Littoral et le Centre.
Au vue de ce tableau comment ne pas se demander pourquoi ils ne fusionnent pas pour créer des entreprises de presse comme on en voit dans d’autres pays avec des actionnariats et des associés ? Comment les patrons de médias réussissent à critiquer le gouvernement et d’autres entreprises quand  eux même maintiennent leurs employés en esclavage ? La presse camerounaise ne soutient pas les journalistes qui ne sont pas payés. Vous ne verrez presque pas un journaliste  écrire sur les arriérés de salaire de son confrère pourtant quand les pousseurs toussent, on retrouve ça sur toutes les Unes. Je pense que la presse camerounaise doit se repenser, se recréer afin que les journalistes ne soient plus à la merci du premier gombo qui se présente.  
Cet article est ma contribution pour une libération de la presse et des journalistes au Cameroun par des patrons insoucieux du devenir de la presse. Car, tant que le journaliste sera clochardisé, la liberté de la presse célébré ce jour ne restera qu’un leurre.
Armelle Nina Sitchoma

2 commentaires

  1. Article très bien écrit. Je suis un journaliste mauritanien et j’ai l’impression que c’est situation de la presse chez moi que vous décrivez. L’indépendance du journaliste est mise à rude épreuve avec des mois de salaire en moins.

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