Florence Titty-Dimbeng : « La musique camerounaise est malade de son identité »

Agent artistique et producteur de spectacle, Florence Titty-Dimbeng estime qu’il faut repenser complètement l’approche de la musique camerounaise, parce que c’est du copiage de ceux qui l’ont copiée.

Qui est Florence Titty-Dimbeng ?
Je suis une camerounaise de cÅ“ur, de nationalité française et vivant au Gabon. Je suis surtout une passionnée de musique.

Qu’est ce que la musique pour vous ?
C’est la vie. Un cadeau de Dieu. Je ne saurais passer une journée sans en écouter.

Quand Florence Titty va à  Paris c’est pour des études d’avocat, comment fait-elle pour se retrouver dans la musique ?
Je suis partie très jeune du Cameroun, en fin d’école primaire pour ma scolarité. Les études de droit sont arrivées des années après, presque par accident. Car, au moment ou j’ai eu mon bac, je ne savais pas encore ce que j’allais faire. En allant accompagner une amie s’inscrire à  la fac, j’ai pris un dossier d’inscription mais la musique était déjà  là  depuis le Cm2.

En 1985 on vous voit dans les chÅ“urs de l’album Africa electric de Manu Dibango avec Sissy Dipoko et Francis Mbappe. Comment vous êtes vous retrouvé dans cette équipe ?
Le droit n’était pas ma voie. Au cours d’un stage dans un grand cabinet d’audit à  paris, j’ai craqué et j’ai tout laissé tomber. Je suis allée voir Manu Dibango (qui est aussi mon oncle) et lui ai raconté ce que je venais de faire. Il m’a alors dit qu’avec le talent artistique que j’avais, pourquoi ne pas orienté vers cette voie ? Il savait bien entendu que j’avais étudié la musique et que je jouais au piano. Il m’a donc proposé de faire partir de son équipe et j’ai accepté la peur au ventre car, mes parents n’en savaient rien.

9 ans plus tard, vous réapparaissez sur le légendaire « Wakafrica » de Manu Dibango. Où étiez-vous passée entretemps ?
J’ai travaillé avec Manu Dibango de longues années sans interruption. J’étais peut-être plus discrète que d’autres. Manu ne faisait pas des albums tous les ans non plus. Du début des années 80 jusqu’a « wakafrica », j’étais avec Manu, en tournée à  travers le monde, en Tv et bien sà»r dans les albums.

Vos prestations avec Manu Dibango se font auprès de légendes de la musique. Quels souvenirs en gardez-vous ?
Des souvenirs émouvants. Se retrouver sur le même plateau que Miles Davis, ça marque une vie. Parler échanger avec Nina Simone ne peut vous laisser indifférent… il y en a eu tellement ! Mais aussi, ayant eu le privilège de cà´toyer ces monuments mondiaux de la musique, j’ai pu apprécier leur engagement presque maladif dans la musique et aussi leur humilité, car en musique on ne peut tricher.

Certains à  l’instar de Sissy Dipoko, Francis Mbappe et même Tom Yoms se sont lancés dans une carrière solo. Ca ne vous intéressait pas d’y aller ?
Non ! Une carrière solo ne m’a jamais tentée, pourtant j’ai été souvent sollicitée ! A commencer par Manu, sans oublier Lokua Kanza qui lui m’avait même écrit tout un album. Devant mon refus, il a finalement donné certains de ces titres à  Papa Wemba.

Après les chÅ“urs on vous revoit auprès de Manu Dibango comme agent artistique. Que s’est-il passé ?
Je n’avais pas pour vocation d’être choriste ad vitam aeternam. Je savais qu’il me faudrait passer à  autre chose. Ne désirant pas faire de carrière solo, une idée faisait son chemin dans ma tête. Nous les africains voulons tous être au devant de la scène, alors pourquoi ne pas être derrière et être un chef d’orchestre invisible ? C’est ainsi que ma carrière d’agent a commencé avec Manu Dibango. A cette époque j’étais encore sur scène. Je cumulais les postes : agent, manager et choriste. Ce fut très enrichissant de pouvoir ainsi balayer en une fois ces trois aspects des métiers de la musique.

Après agent artistique vous devenez producteur de spectacle et vous ouvrez « La variété ». Pour quel but ?
Après ces années avec Manu Dibango et d’autres artistes, il était temps pour moi de capitaliser ce que j’avais appris. Mais je voulais surtout être au service de ma communauté. C’est tout naturellement que j’ai ouvert ma société de production de spectacle que j’ai nommé « La variété » comme un pied de nez a la scène de musique de variété française. Le premier artiste que j’ai eu à  produire fut un humoriste français : Guy Montagné, puis Angelique Kidjo, Lokua Kanza, Sally Nyolo, Richard Bona avec leurs premiers albums. J’ai pris plaisir à  développer des carrières sachant qu’une fois sur les rails, ces artistes me seraient souffles par des agents plus importants. C’est la « loi » de ce métier…

On vous retrouve plus dans l’organisation des spectacles que la musique. C’est aussi passionnant que chanter ? – Avez-vous des préférences particulières ?
Rire ! Avant je chantais, maintenant je fais chanter les autres… (Rire). Je n’ai pas de préférence. Je chante tous les jours, chez moi, dans ma voiture. Chaque moment est tout à  la fois indépendant et lié à  l’autre. Et puis, organiser des spectacles de musique c’est toujours de la musique non ?

Vous avez été directrice artistique du Massao. Que pensez-vous des performances musicales des chanteuses camerounaises ?
En tant que directrice artistique du Massao, j’ai eu la chance de voir émerger une nouvelle scène camerounaise. Des jeunes filles pleines de talents mais qui manquent malheureusement un encadrement solide. Je les admire pour ce qu’elles arrivent à  faire malgré ce manque. Mais, je les plains aussi car, leurs vies ne sont pas faciles. Un pays comme le Cameroun qui a tant de potentiel artistique, n’a même pas un conservatoire ! Quelle honte ! Alors que le monde nous envie, nos musiciens avec. Bref, pour en revenir aux performances musicales des chanteuses camerounaises, je leur dis aussi qu’elles doivent travailler avec acharnement et conviction. àŠtre chanteuse ce n’est pas seulement pousser de la voix devant tel ou tel public, mais c’est aussi une leçon permanente de vie. Ce sont des modèles qu’elles le veuillent ou pas, malgré elles. Alors elles se doivent d’être des exemples pour les autres. Seul le travail paye ! Beaucoup confondent chanter et star. Je n’en dirais pas plus.

Que pensez-vous de la jeune génération actuelle ? Lady Ponce, Kareyce Fotso, Corry…
Exactement ce que je viens de dire plus haut. Chacune dans son style.

Vous avez été directrice artistique des Kora Awards pendant10 ans auprès d’Ernest Adjovi. Que gardez vous comme souvenirs de cette expérience ?
La rigueur, mais aussi le désir d’un homme de porter très haut le potentiel musical africain. Son désir d’élévation de cette musique et également produire un spectacle aux normes internationales.

On vous voit aujourd’hui aux cà´tés du comité d’organisation des Balafon-Gabon Music Awards. Comment vous êtes vous retrouvé dans ce projet ? Quel est exactement votre rà´le ?
Ce sont les Balafon-Gabon Music Awards qui m’ont amené au Gabon. Je suis venue ici pour les créer et les mettre en place, suite à  mon passage aux Kora où j’ai été remarquée. J’en suis la productrice exécutive et la coordinatrice générale.

Que pensez-vous de la musique camerounaise ?
Elle est malade de son identité. Elle ne ressemble à  rien. C’est du copiage de ceux qui l’ont copiée. Elle ne donne pas envie, même de danser.

Entre la musique que vous faisiez et celle que vous écoutez maintenant, quel commentaire vous faites ? Qu’est ce qui fait problème ? Comment voyez-vous l’avenir de la musique camerounaise ?
Cela rejoint ce que j’ai dis dans le paragraphe précédent. Il faut repenser complètement notre approche de la musique. Repartir aux sources pour mieux l’appréhender. Si on construit une maison sans fondations, elle s’écroulera tà´t ou tard. Il en est ainsi de notre musique.

Les combats dans la musique et des musiciens aujourd’hui, sont-ils les mêmes pour les artistes camerounais du pays et ceux de la diaspora ?
Je suis trop détachée à  présent de la diaspora et puis je ne connais pas très bien les musiciens d’aujourd’hui.

Pourquoi ce sont généralement les chansons de piètre qualité artistique qui sont appréciées du public ?
Parce que plus c’est idiot plus le public a le sentiment de comprendre. Il a l’impression que l’artiste est à  sa portée, car celui-ci utilise des expressions communes dont il est sà»r qu’elles vont frapper les esprits. Il ne s’agit plus la de musique.

Y a-t-il un problème avec le public camerounais ?
Qu’il soit Camerounais ou Roumain, le public est le même partout. Il a besoin de musique, par forcement dans son aspect le plus abstrait, mais de belles mélodies et des textes forts. Si on lui donne n’importe quoi il va avaler car il n’y a rien d’autre à  manger.

Interview réalisée par Armelle Sitchoma

2 commentaires

  1. Tu as su trouver une invitée de marque à ton dictaphone. Belle interview mais n’oublie pas de te relire et de faire relire ton texte par une autre personne.

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