quelques unes des patrons de presse contre les discours de la haine

Cameroun: des patrons de presse vent debout contre les discours de la haine

Au cours des derniers mois, le Cameroun a enregistré une augmentation notable de l’utilisation de propos incendiaires, d’insultes à caractère ethniques et de rhétorique de division dans les médias traditionnels et les nouveaux médias.   Face aux discours haineux, certains directeurs de publication dans une tribune, appellent la presse à se ressaisir et demandent à l’État de prendre ses responsabilités. Lire ici, cette tribune signée de 16 Directeurs de publication des principaux titres de la presse à capitaux privés du Cameroun.

Tribune. En facilitant la propagation des discours haineux, les journalistes trahissent leurs codes d’éthique. En restant laxiste face aux entrepreneurs de la haine, les pouvoirs publics font le lit d’un possible déchirement de la cohésion nationale.

À qui profite le crime (car le tribalisme en est un !) ? La question se pose avec gravité, depuis que prolifèrent sur la toile et à la télévision une surenchère de discours tribalistes, stigmatisants et haineux. Désormais, c’est de manière totalement décomplexée et parfaitement docte que des compatriotes organisent des forums sur les réseaux sociaux et des débats télévisés pour conforter et enrichir leur haine, juger et condamner telle ou telle ethnie, coupable des agissements supposés ou réels de certains de ses membres.

Pourquoi est-ce un crime de tribaliser le débat politique et social ? C’est évident. Parce qu’en cultivant le rejet de l’autre et la méfiance vis à- vis des non-membres du groupe, en les présentant comme des dangers imminents, en prêchant la haine de l’autre, que ce soit ouvertement ou à force de sous entendus, ces discours menacent gravement la cohésion sociale de notre nation encore fragile.

Pourtant, comme l’indique la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la FIJ, « Le/la journaliste veillera à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés et fera son possible pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, etc. » Autant dire que certains journalistes camerounais piétinent allègrement les règles de base de leur métier.

Lire aussi : Face à l’escalade des discours de haine au Cameroun, defyhatenow interpelle les parties prenantes et esquisse des solutions

Selon l’UNESCO, le discours de haine est défini comme « tout type de communication, orale ou écrite ou de comportement, constituant une atteinte ou utilisant un langage péjoratif ou discriminatoire, à l’égard d’une personne ou d’un groupe, en raison de leur identité ». Or que voyons-nous à la télévision camerounaise ? Que lisons-nous sur les réseaux sociaux ? Une prolifération de discours et de sous-entendus qui cultivent la haine de l’autre. Une surenchère de poncifs tout aussi nauséabonds les uns que les autres. Quelle gloire professionnelle peut revendiquer le journaliste ou le panéliste qui alimente les rancœurs à coups de stéréotypes ?

Quelle ambition veut atteindre l’homme politique qui montre de la complaisance face à la prolifération des discours haineux et/ou de l’intolérance dans ses rangs ?  Certes, le contexte préélectoral est propice à la constitution de camps idéologiques et de chapelles partisanes. Mais la polarisation actuelle ne se fait plus sur les programmes et les idées, elle se fait à tort sur les origines ethniques.

Parmi ces gladiateurs des claviers et des petits écrans, les plus modérés appellent à la solidarité tribale en faveur des politiciens de leurs contrées (chose clairement interdite par la loi), tandis que les plus radicaux appellent purement et simplement à l’extermination d’autres groupes ethniques (une dérive sévèrement punie par la loi). Il est curieux de constater que le ton monte sans conséquence, les tribalistes invétérés en rajoutant à chaque fois une couche, assurés de leur impunité. Il semble donc de plus en plus certain qu’au-delà de l’éducation, le terreau fertile de ces discours clivants et de ces appels au meurtre, c’est l’impunité.

Lire aussi : Yaoundé planche sur le discours de haine et les violences au Cameroun

Pourtant, la loi prévoit des poursuites et des peines d’emprisonnement contre « celui qui, par quelque moyen que ce soit, tient des discours de haine ou procède aux incitations à la violence contre des personnes en raison de leur appartenance tribale ou ethnique ». La liberté d’expression ne peut pas être la liberté de propager la haine. L’article 241-1 du Code pénal camerounais prévoit des peines allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement et des amendes de 300 000 à 3 000 000 FCFA pour de tels actes. Pire encore, lorsque l’auteur est un fonctionnaire, un responsable politique ou un journaliste, ces peines sont doublées et les circonstances atténuantes interdites.

Le plus écoeurant est de constater que ces discours haineux émanent souvent d’intellectuels et de leaders d’opinion que l’on croyait au-dessus de ces basses considérations. Il y a quelques années, un écrivain Camerounais vivant à l’étranger appelait au meurtre d’une communauté, et nous avons tous détourné le regard, par pudeur et peut-être même par honte. Hier toujours, des Camerounais ont été pourchassés de certaines régions du pays, leurs biens pillés, impunément. Aujourd’hui, on entend journalistes et universitaires aboyer ouvertement leur rage contre d’autres communautés, toujours impunément. Et désormais, les appels au meurtre se multiplient.

Encore faut-il que ces mécanismes soient mobilisés avec rigueur et efficacité, et non laissés à l’état d’outils dormants face à un péril grandissant. Les hommes de médias camerounais doivent faire preuve de retenue et de responsabilité face à la tentation du sensationnalisme et de la quête d’audience. Le Cameroun est un pays composite, constitué de plus de 200 ethnies qui, depuis à peine un demi-siècle, apprennent à forger ensemble une identité nationale. Les discours clivants fragilisent ce tissu social encore en construction et attisent des antagonismes dangereux. Or, les communautés sont aujourd’hui profondément imbriquées, unies par des alliances, des mariages et des filiations qui transcendent les clivages ethniques. En soufflant sur les braises du tribalisme, certains médias ne mesurent pas les risques qu’ils font courir à l’ensemble de la société.

Un appel à la retenue!

Le plus glaçant, c’est le flegme des pouvoirs publics face à cette dérive qui menace la cohésion sociale et, par extension, la paix et la stabilité du pays. Bien des États, parfois voisins du nôtre, ont sombré dans le chaos sous l’effet combiné des discours haineux et du laxisme des autorités. Pourtant, l’État camerounais ne manque pas d’instruments pour endiguer cette vague délétère qui se propage à travers les médias et les réseaux sociaux. Outre les dispositions du Code pénal révisé, on peut citer les lois en vigueur contre la cybercriminalité, l’Agence Nationale des Technologies de l’Information et de la Communication (ANTIC), la Commission Nationale pour le Bilinguisme et le Multiculturalisme, ainsi que le Conseil National de la Communication (CNC). Chacune de ces institutions a un rôle à jouer dans la lutte contre les discours de haine.

L’histoire, notamment en Afrique, regorge d’exemples tragiques où de simples mots ont mené à l’horreur et au chaos. Les médias doivent refuser de servir de caisse de résonance à la haine et aux ressentiments, sous peine d’être complices des fractures qu’ils contribuent à creuser. L’élection présidentielle qui s’annonce ne doit pas nous diviser; l’enjeu certes capital ne peut pas autoriser toutes les dérives, d’autant que nous savons déjà qu’il y aura un seul vainqueur et plusieurs déçus. Les entrepreneurs de la haine ne devraient pas se pavaner librement sur les plateaux de télévision ou sur les réseaux sociaux pour détruire les acquis encore fragiles de notre nation. Il est temps que la presse se ressaisisse et que l’État prenne ses responsabilités.

Les signataires:

-François BAMBOU, Directeur pour l’élimination du tribalisme et la promotion du vivre-ensemble. -Georges Alain BOYOMO, Directeur de publication, MUTATIONS. -Séverin TCHOUNKEU, Directeur de Publication, La Nouvelle Expression, PDGÉquinoxe TV. -HAMAN MANA, Président de la fédération des éditeurs de presse du cameroun (Fedipresse), Directeur de Publication, Le Jour. -Guibaï GATAMA, Directeur de publication, L’OEil du Sahel. -Émile FIDIECK, Directeur de publication, EcoMatin. -Christian NGAH, Directeur de Publication, The Guardian Post. -Chantal NGA, Directrice de Publication, Ladies News. -Valentin Siméon ZINGA, Directeur de publication, Lignes d’Horizons, président de l’association Médias, Médiations et Citoyenneté. -Nancy FAWOH, Directrice de Publication, Le Gideon. – KINI NSOM, Directeur de publication, The Post. -Randy Joe SA’AH, The Daily Voice. -Thierry NDONG OWONA, Directeur de publication, Intégration. -Jean François CHANNON, Directeur de Publication, Le Messager. -Michel Eclador PECKOUA, Directeur de publication, Ouest Échos. -François MBOKE, Directeur de publication, Diapason, Président du Réseau.

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