Promiscuité. L’établissement scolaire public jouxte la rive ouest du fleuve à Douala. Un vrai
marécage où élèves et enseignants bravent au quotidien les inondations.
Le bà¢timent de sept salles de classe est soutenu par des piquets. Celui-ci a tout l’air d’un édifice des années 70. Dans les salles, quatre rangées comptant chacune environ dix bancs. Les élèves sont serrés comme des sardines dans une conserve. Trois à quatre enfants se partagent une banquette longue d’à peine un mètre. Le sol, couvert de terre noire, n’a jamais vu l’ombre d’un carreau, ni même du ciment. La toiture ne dispose pas de plafond et laisse traverser les rayons de soleil qui éblouissent les élèves assis au fond de la pièce. « Quand il pleut, c’est la catastrophe. L’eau entre par les ouvertures que vous voyez-là , et on est obligé de se rabattre d’un cà´té de la salle », se plaint une enseignante. Elle a pu se frayer un espace entre le tableau et les premiers bancs. Son bureau, une chaise et une table datant de Mathusalem, est rangé au coin de la classe. Un corridor, environ un mètre de large, lui permet d’aller et venir entre son poste de travail et la porte, durant les cours. La scène est la même dans les autres six salles de classe qui composent le bà¢timent des 6èmes et des 5èmes.
Le lycée bilingue de Mambanda est édifié dans un marécage. Les élèves sont privés de jeux, faute de cour de récréation. Pourtant, les bà¢timents de l’école s’ouvrent sur une vaste esplanade. Un terrain parsemé d’herbes englouties par les marais. Deux pistes desservent les toilettes. Les classes de 4ème sont implantées non loin de la broussaille. Les nouveaux bà¢timents construits sur pilotis n’échappent pas aux eaux. Tout autour de certaines salles de classe, stagne une marre d’eau noirà¢tre. Il faut se pincer le nez pour sillonner les classes de 4ème. L’odeur ici est fétide. Les classes de 3ème et de seconde, quant à elles, sont reliées par des ponceaux. Quatre morceaux de briques superposés, sur lesquels on a couché quelques planches. « à‡a fait quelques semaines qu’on a aménagé ce passage », confie Mohamed, un élève. Les élèves des classes de 1ère échappent certes à l’exercice d’acrobatie qu’impose le pont chaque matin, mais ils subissent l’humidité et la chaleur. Ils suivent les cours dans les nouvelles salles n’ayant ni porte, ni fenêtre, ni plafond. Juste quelques bancs rangés entre quatre murs, sur un sol non cimenté et rugueux. Hormis l’insalubrité et la promiscuité, le lycée de Mambanda souffre cruellement du déficit de salles de cours. « Les élèves de 6ème et ceux de 5ème font un système de mi-temps, comme à l’école primaire. Les 6èmes travaillent de 7h 55 à 11h 55. Les 5èmes arrivent à 12h 25 pour rentrer à 16h 35. Chaque enseignement ne dure même pas une heure. Il y a une réduction du quota d’heures pour certaines disciplines, ce qui est une violation de la règlementation », remarque une enseignante. « Faute de salles de classe, on jumelle
certains niveaux d’étude. C’est le cas de la seconde et de la première », avoue Marc Eitel Nseke Edimo, le proviseur du lycée. Sept ans après sa prise de service dans cet établissement scolaire public, les réalités demeurent les mêmes. Les élèves des terminales littéraires et leurs camarades des séries C et D se partagent la même pièce scindée en deux par un contre-plaqué.
Les eaux menacent
Il est 8h 30, mercredi 19 octobre 2011. Dans la cour du lycée bilingue de Mambanda, quelques élèves déambulent. Les cours battent leur plein dans les salles de classe. On entend des bribes de conversations plusieurs mètres au loin. Tout est calme, on peut circuler dans la cour. Quelques élèves, à la vue du reporter du Jour, s’exclament : « Il fallait venir quand la marée est haute. C’est Bakassi ici. On enlève les chaussures pour y plonger et entrer dans les salles de classe.» A l’évidence, l’établissement souffre d’un réel problème d’inondation. « J’ai pataugé dans l’eau qui m’arrivait aux genoux », se souvient une enseignante qui lève son vêtement pour bien montrer jusqu’où l’eau lui arrivait ce jour-là . La situation s’est améliorée, pense un de ses collègues rencontré dans la salle des professeurs. « Quand je suis arrivé ici en 2003, l’accès était impossible. On se déchaussait sur deux, voire, trois kilomètres avant de prendre la route du lycée », rappelle-t-il. Le problème d’inondation dans le lycée est causé par sa proximité avec le fleuve Wouri. « Il n’y a pas de saison pour les inondations ici. Quand la marée haute nous trouve hors de l’établissement, on est obligé d’attendre deux ou trois heures pour venir dispenser les cours. Mais quand la marée nous trouve dans l’établissement, nous enseignons les pieds dans l’eau », s’indigne un enseignant. Même avec la marée basse, l’accès dans les salles de classe n’est pas aisé. « On s’asseoit avec nos pieds dans l’eau qui charrie des grenouilles. Leur coassement nous empêche de suivre les cours », témoigne Bakame, élève de 6ème. Le phénomène n’est pas sans risque pour les enfants de 6ème et 5ème qui occupent le bà¢timent en planches. « Quand il pleut ici, il y a des grenouilles et des crabes qui entrent dans la classe. Un crabe m’a pincé le bras un jour », raconte une élève. Du coup, l’éducation physique et sportive reste une discipline inconnue au lycée bilingue de Mambanda, faute d’espace approprié. « Si on ne peut pas déjà circuler, comment va-t-on faire le sport ? Certes la discipline figure dans l’emploi du temps, mais son heure est consacrée à la permanence », fait savoir Denis Ntoko, élève.
Le calvaire
Il faut être très engagé pour emprunter la route qui mène au lycée. Les nids-de-poule et autres crevasses sont autant d’embuscades sur la route et découragent les automobilistes à emprunter cette voie. Personne ne veut s’embourber dans les grands creux boueux qui se sont formés au milieu du chemin. Aucun taxi ne dessert l’établissement scolaire situé à plusieurs kilomètres de la grand-route. Seuls des mototaxis y vont quand il leur vient l’envie. « Un jour, j’étais encore sur le chemin. Au niveau du marché de Mambanda, la marée avait inondé les lieux. J’ai patienté des heures durant, attendant que le niveau d’eau baisse. Après quoi, j’ai retroussé mon pantalon et j’ai commencé à patauger dans la boue. Au début, je ne portais que des bottes pour venir à l’école », se souvient le proviseur du lycée bilingue de Mambanda. A partir du lieu-dit « Cimetière Kotto Bass », un réseau de pistes conduit à l’établissement. Une fois au marché de Mambanda, les routes sont obstruées par les commerçantes installées dans la boue. C’est au klaxon des véhicules que chacun se déplace, pour revenir immédiatement après. Il n’y a pas que les commerces. A pied, il faut avancer avec prudence, pour ne pas plonger dans la boue. Les sentiers constituent de véritables bourbiers. « Il y a des jours où même les conducteurs de moto refusent d’arriver au lycée. On est obligé de marcher jusqu’à l’établissement. Le retour est pareil parce que les motos y viennent rarement. Je marche jusqu’au marché et, une fois là -bas, j’emprunte un taxi qui me laisse au cimetière Kotto Bass ». Des kilomètres à pied qui abîment à coup sà»r les souliers, regrette une enseignante. Les conditions d’accessibilité sont très mauvaises, à bord d’une moto ou d’un taxi. Les secousses donnent le vertige. Le véhicule balance dans tous les sens. La moto fait parfois des sauts comme ceux qu’on voit au Paris-Dakar. Suffisant pour décourager les inspecteurs pédagogiques à visiter l’établissement scolaire. « On n’a jamais reçu la visite des inspecteurs pédagogiques comme les autres établissements. Ceux-ci estiment que l’accès n’est pas bon », révèle un professeur en poste depuis sept ans.
Décrépitude
Le lycée bilingue de Mambanda est situé dans l’arrondissement de Douala 4ème, non loin du fleuve Wouri, bien loin de l’axe principal de Bonabéri. Dans son enclave, l’établissement est repérable grà¢ce à la plaque qui indique : « Ministère des Enseignements secondaires, regional delegation of Littoral, délégation départementale du Wouri, G.B.H.S. Mambanda ». L’écriteau est accroché à un mur fait de planches peintes à la chaux. Celles-ci ont subi l’usure du temps et ont perdu de leur éclat. Une passerelle bà¢tie en bois permet d’accéder à la porte d’entrée réservée au corps enseignant et aux visiteurs. Strictement interdite aux élèves. Cet accès donne sur un coin aménagé servant de guérite. C’est le service de renseignements. Un bonhomme, installé derrière une table en bois, répond aux questions et oriente. C’est ici qu’il faut demander l’autorisation d’aller plus loin. Non sans montrer patte blanche. La suite, c’est une piste en terre. A la gauche de celle-ci, un vieux bà¢timent construit à partir de cette essence de bois couramment appelée « carabote ». La bà¢tisse menace de s’écrouler. A droite, une zone inondée d’eau stagnante où flottent des plantes aquatiques. Attention à la marche.
La leçon du proviseur
« Quand tu vois le proviseur retrousser son pantalon et traverser les mares d’eau et la boue, ça t’encourage. Aussi, se comporte-t-il comme un père et non comme notre supérieur. Sinon, quand tu arrives sur une moto et qu’on t’a éclaboussé partout, tu ne veux plus revenir », témoigne une enseignante. Pour la plupart des professeurs, la bravoure et le courage du proviseur leur donnent la motivation pour braver les incommodités de la route et venir dispenser les cours chaque jour au lycée bilingue de Mambanda. Marc Eitel Nseke Edimo est arrivé à la tête de cet établissement en 2004, à l’époque Collège d’enseignement secondaire (Ces). « Quand j’ai été affecté ici, l’établissement avait deux sites. La première directrice avait aménagé un site au niveau du marché de Mambanda pour abriter les bureaux administratifs. Les salles de cours étaient ailleurs. J’ai vite fait de transférer les bureaux. « Quand je me suis installé avec les parents d’élèves, nous nous sommes fixé l’objectif de construire une salle de classe chaque année. Sept plus tard, nous avons pu bà¢tir une dizaine de salles », se réjouit Marc Eitel Nseke Edimo. Il a d’ailleurs inauguré la première bibliothèque du lycée le 13 octobre 2011, une donation du Lion’s club Douala Wouri. Le proviseur ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Le projet pour la construction d’un laboratoire de physique, chimie et biologie est déjà dans son viseur. Il y a de quoi nourrir de l’espoir dans cette enclave d’où il faut sortir le lycée bilingue de Mambanda. Le tirer vers le haut assurément.
Armelle Sitchoma