Les cargos de Douala: désormais interdit de circulation

Je vous propose ce réchauffé d’un reportage réalisé en 2011 sur les cargos parce que NASERI Paul Bea, le Préfet du département du Wouri, suite à  l’accident de #Kondi du mercredi 29 octobre 2014 qui a fait 5 morts, 11 rescapés et près de 9 disparus et l’accident du mardi 4 novembre 2014 ayant fait 4 blessés à  la salle des fêtes d’Akwa, et mettant en cause chaque fois ces véhicules, est descendu sur les sites, point de chargement de ces voitures, pour interdire leur circulation jusqu’à  nouvel avis. Caractéristiques de la capitale économique, ces véhicules qui ne paient pas de mine permettent d’effectuer de longues distances à  moindre coà»t.

Bienvenue à  bord d'un cargo.

« Si le cargo-ci n’existait pas, je dépenserai même 1000 F.Cfa en taxi chaque jour. Heureusement que certaines personnes ont pensé à  ça », lance une dame. Une fois assise dans un « cargo », elle manifeste sa joie. C’est dire que trouver une place dans cette voiture de transport en commun n’est pas chose facile ce soir. Il est 19 heures 30, ce lundi 25 juillet 2011. La pluie qui s’abat sur la ville de Douala depuis deux jours n’épargne personne et le taxi est rare. Le boulevard de la République est plein de monde. Il suffit qu’ils entendent crier « Bonabéri ! Bonabéri ! » pour que tout ce beau monde, devant la salle des fêtes d’Akwa se rue vers la voiture d’où la harangue est venue. Chacun use de sa technique pour avoir une place dans la voiture. « C’est comment ? Reculez-vous s’il vous plait », supplie un passager. Une autre passagère, déjà  installée, rétorque du tac au tac : « Pour que tu t’asseyes où ? » Le plaignant parvient néanmoins à  prendre place même s’il n’est pas spécialement bien installé. Chacun a compris, c’est l’heure de pointe. « Les passagers affluent des deux cà´tés de la ville. Le matin, c’est à  Bonabéri, et le soir, au marché central», indique un chauffeur. Faire le plein du « cargo » en journée est un supplice. Cette tà¢che, généralement accomplie par le « motor boy », demande beaucoup d’énergie.

« Bonabéri ! Bonabéri ! », « Marché ! Marché ! » ou « Ndokoti ! », ils arrivent. Ce sont des signes qui ne trompent pas. A l’écoute de ces noms de quartier, tous ceux qui sont sur le tronçon savent qu’un chauffeur cargo est sur la ligne. Il y a trois camps de chargement bien connus. Ndokoti, marché central et « ancien Dalip » à  Akwa. Pour le voyage Bonabéri-marché central, Amadou Toukam, plus connu sous le pseudonyme de « M. Balla », est notre chauffeur. Le point de départ de notre promenade, c’est le lieu-dit « gare routière Sodiko » à  Bonabéri. Il est 11h 30 minutes quand on « décolle » ce 23 juillet 2011 de la gare. La voiture est vide. Une fois au « chà¢teau d’eau », le ramassage peut alors commencer. Le motor boy se met à  l’Å“uvre. Accroché à  la portière, il esquisse, de la main droite, de grands gestes. Son index qui va en direction du véhicule, est accompagné de « Marché ! Marché ! Marché-Akwa Palace ! Après cinq minutes de route, un client se pointe. Il propose 150 francs Cfa au lieu de 200. Faute de mieux, il est accepté. Deux minutes après, le véhicule gare au lieu-dit « Quatre étages ». Roger, le « convoyeur » descend et va dans la foule présente dans ce petit marché. Il en ressort avec trois passagers et le chauffeur reprend la route. Quelques mètres plus loin, c’est « Ancien Dalip ! » qui fait freiner le conducteur. « Entre, on va », dit le « convoyeur ». Au lieu-dit « Cimetière », il gare, juste le temps de prendre trois clients et la voiture redémarre. Prochain et avant dernier arrêt de ramassage, « Garage Wenock ». Il est 12h 11 minutes quand la voiture stationne à  l’entrée du quartier. « Ici c’est un point de chargement stratégique », confie Amadou Toukam.

Concours de patience

Le chauffeur coupe le contact de la voiture. On comprend bien que l’attente sera longue. « Amène-nous, c’est comment ? On ne veut pas dormir ici ! », là¢chent certains clients. Pendant ce temps, Roger crie de plus belle « Marché ! Akwa Palace ! Ancien Dalip ! » Il parvient à  faire monter deux passagers à  destination de « Deux églises », une femme pour « Laquintinie » et deux hommes pour « Akwa Palace ». La voiture peut alors avancer. Arrivé à  Bonasssama, le dernier point de ramassage. Aucun client en vue. Cette fois, pas d’arrêt. « Quand on traverse déjà  le pont, c’est très difficile d’avoir encore des passagers », dit le guide. Coup de grà¢ce, une fois à  la « base Elf », un client se signale. Les passagers présents à  bord du véhicule à  moitié plein chahutent. « Tu vas le mettre où ? Je suis déjà  incliné, tu veux que je mette mon pied comment ? » « Assaillez-vous en ¾ ça va aller», lance une dame. Visiblement une habituée.

Ce « système » consiste à  mettre le bras sur l’épaule de son voisin en s’inclinant. Voilà  qui permet de prendre cinq personnes sur un banc prévu pour quatre. Les éclats de voix découragent le client qui continue sa marche à  pied. Roger, le motor boy, ne là¢che pas prise. Il parvient à  convaincre le jeune homme de prendre place dans la voiture. Il entre et s’insère au premier banc, de plus en plus inconfortable. A l’origine, le face à  face entre les passagers du premier et ceux du deuxième banc, assis avec les genoux intercalés les uns entre les autres. Des quatre bancs du « cargo » qui regardent vers l’avant, trois ont déjà  cinq passagers par banc. Le « Shaba » à  trois personnes. Le « banc de touche » ou encore « banc des décideurs », qui donne le dos au chauffeur a encore deux places disponibles. La cabine est occupée par un client « Vip » qui paie 400 F.Cfa pour les deux places. Le lieu près du chauffeur qu’on appelle « La marmite » ou « Canal2 », place très convoitée, près du chauffeur, est déjà  prise.

Une fois l’étape des ramassages terminée, vient celui des dépà´ts. Le chauffeur est interpellé à  chaque seconde. « C’est bon ! Je descends ici. Chauffeur, je te dis que je descends ici ! » « C’est quoi ? C’est le taxi ? » rétorque un autre passager. Le convoyeur s’interpose et calme les humeurs. « S’il vous plait, veuillez donner votre destination avant.» A chaque arrêt, il encaisse l’argent et donne le signal au conducteur pour avancer, tout en insistant sur la prochaine destination. Une fois le «rond point Deido » passé, le cargo emprunte le boulevard de la Liberté. Le chauffeur marque des arrêts au niveau de « Sandaga », « hà´tel le Ndé », «Socar », « Akwa Palace », « Ancien Dalip », « Douala bar », « Deux églises », « Camp Berteau » « pharmacie Berteau ». L’entrée du quartier Makea est le point de chute. Il est 12h 45 quand le cargo entre en gare. Le voyage a duré 1h 15minutes, avec 26 passagers sur les 28 places disponibles dans la voiture.

Bon +à¡ tout porter.

Embarquement pas très immédiat

Embarquer pour le retour, ne sera certainement pas facile, le nombre de voitures garées le long du « camp Berteau » en témoigne. Ici, le terrain est plutà´t miné. C’est la bataille pour transporter un client. Les différents convoyeurs courent dans tous les sens pour chercher les passagers. Le tarif passe de 200 F.Cfa à  150 F.Cfa. « Si tu n’as pas la force, tu ne vas pas charger », révèle le chauffeur. C’est la jungle. Personne ne respecte rien, poursuit-il. Néanmoins, il parvient à  tirer son épingle du jeu. Et reprend le chemin inverse pour valider son troisième tour de la journée.

Descendre d’un «cargo» n’est pas chose aisée. Pour ceux qui sont installés au 3ème et au 4ème banc, c’est le calvaire. Il faut attendre que ceux qui sont assis devant vous descendent afin de vous céder le passage. Après quoi, chaque passager regagne sa place. A chaque arrêt, c’est le même cycle qui s’observe. Alors, attention au concurrent « quand tu pars, celui qui te suit passe au chargement. Une fois à  Bonabéri, il y a plus de 15 destinations. Au fur et à  mesure que les gens descendent partout, il peut te rattraper. C’est là  où le challenge commence pour discuter la place », là¢che Alain, les yeux rivés sur le volant. La course est lancée. Pour le reconnaitre, c’est simple. Quand vous entendez « il y a un blanc devant », c’est que le chauffeur vient de perdre sa position et le conducteur excède de vitesse. « Tu crois que tu conduis les moutons ou quoi ? Ce sont les êtres humains hein ! », se plaignent les passagers.

Malgré l’état décrépi des voitures « cargo », celles-ci permettent aux populations qui les empruntent de faire des économies. Peut-on vivre à  Bonabéri ou à  Village sans « Cargo » ? à€ cette interrogation, plusieurs habitants vous répondront par la négative. Evidemment que non. Puisque, si ce moyen de transport n’existait pas, un habitant de Bonabéri, pour se rendre au marché central ou à  Ndokotti, débourserait 600 francs avec trois escales. Les voitures « cargo » viennent résoudre ce problème. « Je prends le cargo parce que c’est moins cher. Je travaille mais si je dois prendre le taxi chaque jour je ne pourrais pas m’en sortir », confie une dame. Avec les voitures «cargo», il faut juste avoir 200 F.Cfa et le tour est joué.

Partage à  trois

La plupart des conducteurs de « cargo » ne sont pas propriétaires de leur véhicule. A la fin de la journée, la recette est divisée en trois parts. Le patron, le motorboy et le chauffeur. « Quand tu te lèves le matin, dans la tête il te faut faire 5 à  6 tours, pour gagner au maximum. Mais une fois sur la route la réalité est tout autre. On fait face à  des embouteillages qui t’obligent à  faire trois tours », dit Amadou Toukam. « Nous prenons les motor boys sur les différents sites de chargement. A la fin de la journée, ils sont payés en fonction de la journée de travail. Leur paie varie entre 1.500 et 3.500 F.Cfa. » Dès lors, il est difficile de joindre les deux bouts. « à‡a ne peut pas nourrir son homme mais on fait le maintien, ma sÅ“ur. Si ça peut déjà  nourrir la famille et aussi te soigner, tu fais avec », déplore Bruno Tamoho. Nombre d’entre ces chauffeurs mènent cette activité pour ne pas errer au quartier.

Malgré les gains insignifiants, il faut encore cédé aux caprices des contrà´leurs routiers. Même si les contrà´les de police ont été annulés sur les axes, les chauffeurs de cargo font face, chaque jour, à  la traque des gendarmes du peloton routier. « Quand une voiture est interpellée, le motor boy va « claquer ». Le claquage c’est 1000 F.Cfa par jour, chez les gendarmes. Dans le passé, au contrà´le de la police, on donnait 500 F.Cfa », confie « Alain Giresse ». Pour remettre l’argent au contrà´le, le motor boy salue ce dernier en douce. Il peut même jeter le billet au sol. Pourtant, la plupart des voitures sont en règle. « Nous avons deux contrà´les par semaine. On vérifie la visite technique des voitures, l’assurance et les pièces personnelles du chauffeur comme le permis de conduire et la Cni, ainsi que les plaques d’immatriculation Cemac », précise le président de tête de ligne Ndokoti-Bonabéri.

Le « cargo ». En fait, c’est une voiture qui fait concurrence à  la moto dans la ville de Douala, à  la seule différence qu’elle transporte un plus grand nombre de passagers. Ces voitures desservent autant le centre ville que les zones reculées de Douala et à  très bas prix. Si vous avez fait un tour dans la métropole économique, impossible de ne pas avoir aperçu une de ces voitures. A l’origine, ce sont des fourgons conçus pour le transport des marchandises. Aujourd’hui à  Douala, il est adapté pour le transport des personnes. « Ce sont des voitures « Mercedes 100D » qui viennent de l’Allemagne. Quand ça arrive, il y a juste des sièges avant », indique un chauffeur de cargo. On les rafistole alors pour obtenir le résultat que l’on sait.

Pour réduire le nombre de victimes causées par les cargos dans la ville de Douala, ils sont depuis ce mercredi 5 novembre 2014, interdit de circulation dans la ville jusqu’à  nouvel ordre. Une mesure prise par le Préfet du département du Wouri.

Armelle Nina Sitchoma

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