Récit d’une longue journée folle teintée d’angoisse, de peur et d’inquiétude, alors que tout avait pourtant bien commencé par la visite guidée du barrage de Memve’ele.
Il est 17h lorsque la Peugeot 607 essaie d’effectuer un dépassement. Tout d’un coup, le tableau de bord s’éteint. Les voyants disparaissent et le véhicule s’immobilise. Le conducteur arrête le contact. Deux minutes passent. Il tente de démarrer la voiture. Elle a juste le temps de faire tchunk reuuuuu et de s’arrêter. Une deuxième tentative. Une troisième. Une quatrième. Cinq. Six. On ne compte plus. Place aux suppositions. Le carburant ? L’aiguille indique que le niveau est ok. Rien sur le tableau de bord ne dit qu’il y a un disfonctionnement puisque tout s’allume dès qu’on tourne la clé dans le contact. Seul hic, le démarrage ne prend pas. Les passagers se regardent. Tout le monde descend…
Le mécanicien du village qui a observé la scène se rapproche. C’est la première panne de cette voiture. Le conducteur ne veut pas que son bijou soit examiné par quelqu’un de pas qualifié. Sauf que là, il n’y a pas plusieurs options. C’est la seule alternative. C’est la première fois qu’on ouvre le capot de cette voiture. La mine serrée du mécanicien trahit un peu sa mauvaise surprise. La voiture est électronique. Il n’y comprend rien aux installations. Il veut jeter l’éponge. Le regard du conducteur exprime la même chose. Il referme le capot. C’est reparti pour une autre tentative de faire démarrer le moteur. Oups ! La batterie est déchargée. Il faut « tchouquer » la voiture. Cet acte qui consiste à pousser la voiture pour qu’elle roule et le conducteur tente d’effectuer le démarrage en force. Étant sur une légère pente, il fallait d’abord aider le conducteur à tourner la voiture vers l’autre sens. Deux femmes, trois hommes, nous étions. Le conducteur étant dans la voiture, il ne restait plus qu’une parité genre qu’on ne souhaite pas en ce type de circonstance. Tous à l’arrière du véhicule. Genoux fléchis au signal, tout le monde pousse de toutes ses forces. Allez, go !
La voiture étant sur une montée, il faut la retourner pour espérer qu’elle bouge sous la force de nos bras. Premier essai. Un… deux, un…deux, allez !!! Des petits pas. Des pas moyens. Des grandes foulées. Un sprinte ; la voiture roule on dirait elle est à 120 de vitesse. Le chauffeur démarre et Vrouummm ! Elle a failli. Deuxième essai, un troisième, un quatrième. Le souffle de certaines personnes ne tient plus. Ils abandonnent la mission. Le chauffeur aussi. La batterie est à plat.
Le soleil disparait peu à peu derrière les arbres de la forêt pour céder la place à d’épaisses couches de nuages sombres. Il est un peu plus de 18h 30 minutes. 1h déjà que nous sommes en panne là. Les secours qu’on nous a promis d’envoyer tardent à arriver. Le mécanicien du village ne lâche pas prise. Il ne cesse d’observer les boitiers et fils sous le capot. Il se rapproche du conducteur. Il semble avoir trouvé le problème. Il faut du carburant. Un conducteur de moto est payé pour le service. Aller à Nyabizan Centre pour acheter du gasoil. (Le village ne dispose pas de station-service, ni de point de vente de gasoil. Il faut sillonner les chantiers du coin et trouver le conducteur d’engins qui va siphonner le contenu de sa citerne pour vendre.) 20 minutes après, le mototaximan est de retour avec 20 litres de gasoil. Le précieux liquide est mis dans la voiture qui refuse toujours de démarrer.
Une lueur sans espoir
La nuit est tombée sur le village Nnemeyong. Les cris des animaux se font entendre de part et d’autres de la forêt. Non loin de nous, une bête hurle, certainement pour dire qu’on trouble sa tranquillité avec nos bruits. Les quelques villageois qui passent par-là s’arrêtent pour s’enquérir de la situation. Les téléphones sont presque tous éteints. Seul l’infinix de François affiche 54% de batterie. Le mécanicien sous le capot est éclairé à l’aide de sa torche et de celle du téléphone de François. Il vient de trouver ce qui ne va pas. La pompe ne propulse pas le gasoil pour les bougies. 19h40 minutes. Un pick-up approche et serre de notre côté. Les visages s’illuminent. Enfin nous allons partir de cet endroit. Que non. Ils sont là pour nous ramener à la base, à savoir le site du barrage hydroélectrique de Memve’ele. Donc, nous éloigner davantage de la ville. Ils sont deux. Ils ont la mine serrée. « On s’apprêtait à aller voir le match quand on nous a appelés que vous êtes en panne ici», dit l’un d’eux avant de demander : « vous avez quoi comme panne ? ». Le mécanicien présente la situation. Avant de chercher à la résoudre, il faut d’abord recharger la batterie. L’échange est vite fait entre les deux voitures.
Un coup de main au mécanicien qui ne sait pas comment faire sortir la boite à filtre. Ne maitrisant pas le véhicule, il avance prudemment. Avec l’aide de l’un des secouristes, il tente d’ouvrir la boite à filtre. Et crack ! Ce n’est pas la boite qui s’ouvre mais un des tubes qui passent au-dessus vient de se casser. Le mécanicien à l’aide de sa bouche tire le gasoil pour libérer la voie. Une autre tentative de démarrage, la voiture ne démarre pas. Il faut encore du carburant, lance le mécano. Tout le monde est surpris par cette décision. Avec 20 litres de carburant une voiture peut démarrer non ?! Bref ! Très vite on va chercher un autre conducteur de moto. Il est déjà un peu plus de 20h. Nos secouristes en pick-up se proposent d’aller acheter le précieux liquide. A peine partis, les voilà de retour. Ils reviennent avec une histoire bien ficelée comme quoi en roulant, le capot du pick-up s’est soulevé et a cassé le pare-brise. Sauf qu’a l’observation, on ne voit qu’une fissure au bas du pare-brise qui n’a certainement rien à voir avec ce qu’ils disent. Et les voilà qui se désistent et repartent nous laissant dans notre misère. Le benskineur prend alors la route de Nyabisan Centre, à la quête du gasoil.
La longue attente
1 h s’écoule. Il n’est pas de retour. Géraldine s’est assoupie, allongée sur le siège arrière de la voiture. François, assis devant, fait pareil. Philippe les a rejoints, mais il est couché sur le capot arrière. Gérard est couché à même le sol derrière la voiture. Le mécanicien cause avec madame. L’attente se fait de plus en plus longue. Quelques villageois s’arrêtent là où nous sommes, compatissent avant de poursuivre leur chemin. Je profite pour joindre les passagers du bus pour annoncer la galère dans laquelle nous nous retrouvons. 22 heures, toujours pas de signe du mototaximan. Nous sommes dans le noir total. Seules quelques étoiles apparaissent dans le ciel. Vroummmm…., le vrombissement d’une moto. C’est lui, ce n’est pas lui ? On croise les doigts. Oups ! Pas de chance. 10 minutes plus tard. Un autre bruissement. Une autre moto arrive et nous traverse. Intérieurement je commence à me demander si ce conducteur de moto reviendra. Le premier a pourtant fait 20 minutes. Là, nous sommes à plus de 2h. Quelques minutes plus tard, il fait son come-back. Il nous fait savoir qu’il a eu du mal à trouver un chauffeur pour lui vendre du carburant. Ces derniers regardaient la finale de la Champions League. On verse les 20 litres de gasoil dans la voiture. Avant que le bidon ne se vide, le réservoir du véhicule était déjà plein. La voiture ne démarre toujours pas. Tous devant le capot. Le mécanicien change de technique. Il avale le gasoil par la bouche et essaie de faire rentrer cela dans le filtre en soufflant. On essaie d’exciter avec de l’essence. La voiture démarre et s’éteint aussitôt.
Il est un peu plus de 23h. Le mécanicien a épuisé toutes ses cartes. Il n’a pas pu résoudre le problème mais le diagnostic est établi. Il nous propose de pousser le véhicule pour aller garer chez le chef du village. Ce qui est fait. Gérard appelle alors son chauffeur resté à Yaoundé et lui demande de prendre la route. Une fois à la chefferie, les jeunes du village qui patientaient avec nous, nous proposent leur hospitalité. Tout est noir. Nous traversons une allée qui donne sur une porte. Un couloir, on tourne à droite, le salon. Une bougie et une lampe tempête tentent d’éclairer le salon. Nos hôtes nous montrent des chaises. Prenez place là. Il est un peu plus de minuit. Ils s’assaillent quelques instant avant de désister pour aller se coucher. En ce moment, commence chez moi le décompte de l’heure.
Le bal des animaux
La nuit est calme. Les minutes s’égrainent comment des heures. 1h du matin. 1h 5 minutes. 1h 7 minutes. En fait le temps ne bouge même pas. Les cris d’animaux se font entendre. Des cris doux aux cris stridents. Des grognements qui viennent rappeler que nous sommes en pleine forêt. Le temps refuse de suivre son cours. Les uns et les autres ne cessent de se tortiller sur leur chaise comme pour chercher une position confortable. Enfin arrive 4h. Le premier chant du coq se fait entendre. Un peu plus tôt, le déclenchement toutes les 5 à 10 minutes de l’alarme du véhicule garé non loin des maisons avait déjà réveillé plus d’un parmi ceux qui dormaient. Une autre pression qui venait s’ajouter à celle du temps, impossible de savoir ce qui se passait dehors. 4h 30, le ronronnement d’une voiture. La première à rouler sur cette route ce jour-là. Est-ce le chauffeur parti de Yaoundé qui fait son arrivée ? Que non. Elle traverse à toute vitesse et ne revint plus. 4h 42, une deuxième voiture et toujours pas la nôtre. Puis, vint enfin 6h. Un bruit de voiture et un coup de frein inattendu. C’est la voiture qui va nous ramener sur Yaoundé qui fait son arrivée. Yaoundé que nous allons rallier autour de 15h le dimanche, non sans nous arrêter chez le responsable du voyage pour demander de l’aide avant de se faire rabrouer sous le fallacieux prétexte qu’il est super occupé et donc ne peut nous venir en aide. Tout comme la veille, il était occupé à regarder le match et ne pouvais se déplacer pour venir nous remorquer dans la brousse.
Barrage de Memve’ele : un joyau architectural inutile
Tout avait pourtant bien démarré. Parti de Yaoundé à 7h, j’étais toute excitée de découvrir et de partager avec vous non seulement les richesses de cette partie du Cameroun, mais vous faire visiter le barrage. Au menu, un carnet de route à faire. Je me laissais transporter par le paysage, les huttes, les cabanes et les imposantes maisons disséminées le long du trajet. Les plantains, macabos, patates, tomates vendus le long de la route et certainement plus bio que ce qu’on retrouve dans nos marchés. On traverse Mbalmayo et son école des Eaux et Forêts. Ebolowa et son hôtel du Comice en chantier depuis 2009. Un détail important, nous avons traversé plus de 15 postes de contrôle gendarmerie, police, douane. Soit 6 entre Nsimalen et Djop et le reste entre Mengong et Nyabizan.
Nyabizan est un petit village en pleine forêt dans l’arrondissement de Ma’an, département de la vallée du Ntem, région du Sud Cameroun. Le barrage hydroélectrique de Memve’ele y est logé. Un assemblage d’eau, de bâtisse, de turbine qui communient avec la nature. La couleur jaune poussin/blanc parsemée de rouge entourée de la forêt verte, ressortent le vert-rouge-jaune et le barrage appert comme une étoile dans la forêt. Tout est beau, propre. Le ciel bleu avec des nuages blancs donne un éclat au fleuve Ntem. C’est plus un site touristique qu’une solution à nos problèmes de délestage et déficit en énergie électrique. Memve’ele va apporter 211 Mégawatts à l’offre énergétique du Cameroun qui connait un déficit de 1000 Mégawatts. 15 juin 2012- 8 février 2018, 6 années se sont écoulées depuis la pose de la première pierre par le président de la République jusqu’à la réception provisoire partielle de l’ouvrage.
Outre le barrage, le village Nyabisan a bénéficié de 93,5 km de bitume allant de Meyo-centre à Nyabisan. Pour emprunter à Dieudonné Bisso le Directeur du Projet dans son édito, le Barrage et la route Meyo-centre- Nyabizan ne sont plus la seule fierté et joie des populations riveraines, mais le bonheur assuré de tout le Cameroun. Un bonheur qui laisse un goût amer au travers de la gorge de cette même population qui continue de s’éclairer à la lampe tempête et à la bougie. Un barrage qui va obliger les populations des villages Melen, Nnemeyong, Nnaben a changé de lieu d’habitation parce que contraint à quitter les lieux. Memve’ele aurait pu être un pur bonheur si avec la construction de l’ouvrage, le Camerounais pouvait juste lever son interrupteur à chaque fois et voire sa maison s’éclairer. A défaut de produire l’énergie électrique on peut transformer le site en lieu touristique et en moins de 3 ans je crois que le Cameroun rentrerait dans les fonds investis pour la construction de l’ouvrage.
Tu es prête à rédiger un roman ma belle l’histoire est époustouflante tout mes encouragements
Merci beaucoup pour les encouragements Laulita